Les esprits se divisent sur l'au-delà

Toutes deux ont grandi sur le sol de la Réforme, pourtant les Eglises nationales et les évangéliques se toisèrent souvent avec méfiance. Le dialogue n'effacera pas les différences, il ne le peut pas, mais il contribue à considérer l'autre comme membre de l'Eglise universelle.

Ces Eglises sœurs n'ont pas grand-chose en commun, selon l'ancien Conseiller synodal et chef du secteur Théologie, Ruedi Heinzer au Congrès "la chrétienté évangélique nous met au défi". Il y aurait même un fossé entre les deux positions et on ferait bien de le prendre au sérieux et de ne pas le combler avec des bons sentiments.

Pour Heinzer, la différence centrale est la compréhension du salut. Le credo des évangéliques proclame qu' "en lui seul est le salut". En effet, c'est le rapport qu'une personne entretient avec Jésus Christ qui définira l'endroit où elle passera l'éternité. Les chrétiens évangéliques doivent, par nécessité, laisser tomber quelques passages bibliques qui ne correspondent pas à cette conception, entre autres, ceux qui traitent du salut par les  œuvres.

Se parler, s'écouter

La théologie des Eglises nationales, au contraire, omet ce thème et évite de prendre une position univoque sur l'au-delà. Ses représentantes et représentants expriment différentes opinions ou expliquent qu'on ne peut rien savoir de l'au-delà. On botte la thématique en touche. Pour une Eglise qui n'a plus de confession de foi depuis 150 ans, ce n'est guère étonnant.

Malgré cette position diamétralement différente sur l'au-delà, les évangéliques et les membres de l'Eglise nationale doivent travailler ensemble pense Heinzer, car ni les prédicateurs évangéliques ni les pasteurs réformés ne peuvent rester toujours dans la ligne. Tous veulent vivre en chrétiens, apprendre du Christ et lui donner sa vie. Pour bien vivre ensemble, il faut mettre ses différences sur la table et en parler sans ménagement, il faut que les deux parties soient prêtes à apprendre l'une de l'autre, sans préjuger que l'autre est incroyant ou sectaire.

Une soif de pouvoir déguisée en piété

Toutefois, dans le monde évangélique on constate des développements inquiétants, remarque Christophe Witzig de trans-forum à Winterthur, qui exerce une activité de conseiller lorsque des personnes souhaitent s'extraire d'une dépendance religieuse. Les Eglises libres offrent à de nombreuses personnes une voie pour sortir d'une crise identitaire. L'offre correspond à une nouvelle identité, celle de membre de la communauté. Or, ce qui ressemblait à une issue se révèle en réalité une mise au pas et un asservissement à un système d'apprentissage plutôt qu'à une responsabilisation et à de l'amour.

Il s'agirait d'une soif de pouvoir déguisée en piété. Certains anciens des communautés évangéliques se comportent comme Saul: intimement convaincus de servir Dieu, il font le contraire. De manière analogue à l'Eglise catholique médiévale, ils s'interposent entre les femmes et les hommes et Dieu et prétendent être les seuls à avoir la bonne interprétation de la Bible pour répondre à toute situation.

Inutile de vouloir mettre les fidèles dans un tiroir

Le théologien Ralph Kunz a dit clairement qu'on ne peut pas s'arrêter aux équations "membre de l'Eglise nationale = libéral et politiquement à gauche" et "évangélique = conservateur et politiquement à droite". De tels stéréotypes empêchent le dialogue, voire creusent l'écart. A cela s'ajoute que les journalistes confortent ces clichés par manque d'intérêt ou par manque de connaissances.

Kunz veut y opposer une "catholicité réformée". Il n'y aurait qu'une Eglise générale, universelle et donc "catholique". En sont membres toutes les confessions chrétiennes. Pour affronter la vie, la piété évangélique a besoin de diversité. Les guerres de tranchées sont aussi peu adéquates que les rêves d'harmonie et d'unité. Ce dont l'Eglise a besoin, c'est de plusieurs formes de piété ainsi que de personnes prêtes à apprendre les unes des autres.

Peter Schmid, journaliste et député au Synode zurichois ajoute qu'il n'y a pas d'évangéliques. Dans les médias, l'étiquette évangélique est souvent abusivement utilisée pour associer les mouvements chrétiens à des groupements totalitaires, les reléguer dans le camp de la droite nationaliste et les faire passer pour des primitifs ou des fondamentalistes. Les articles positifs sont de l'ordre de l'exception. Pourtant la scène évangélique est si diverse dans son attitude face aux questions de société, dans ses positions politiques et dans sa spiritualité que toute tentative de la réduire en un seul concept serait vouée à l'échec.

Enfin, il y a du côté libéral un fondamentalisme aussi marqué que du côté évangélique remarque Bruno Waldvogel, pasteur à Bâle. "Les libéraux savent certes ce qu'ils ne veulent pas, mais rarement ce qu'ils veulent." Et ce non-savoir s'est élevé en un dogme auquel ils se mesurent eux-mêmes, mais aussi la théologie des mouvements évangéliques. Il en ressort une mentalité de repli qui finit par être guère différente de celle des évangéliques.

Thomas Uhland, Susanna Meyer